TACOT 7

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Abandonnée chemin

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TOURNEFEUILLES

 

 

 

          Ce qui favorise l’avenir d’un petit garagiste, c’est un bon emplacement, une bonne réputation et de l’espace pour stocker les voitures en attente de réparations.

 

Tu n’aurais pas dû la laisser à cet endroit là…

 

          Je manquais cruellement de place. Le bâtiment pouvait contenir trois voitures en long. Pour la fermeture du week-end, j’en rentrais deux supplémentaires que je glissais sous mes deux ponts de levage. Sinon, je ne pouvais qu’en garer cinq à l’extérieur dont deux qui dépassaient sur le trottoir, en plus du camion remorque nécessaire à mon activité.

 

Ils vont t’emmerder comme pas possible… Ils sont plein de pognon ces gens là…

 

          Tout garagiste qui se respecte finit un jour où l’autre par être pote avec un gendarme ou deux. On se croise sur les accidents routiers pour débarrasser la voirie des carcasses, on emmène à la fourrière, à la casse, on les reçoit en cas de vols, disparitions et effractions. Ils amènent à réparer leurs voitures de fonction, ils demandent des renseignements, ils négocient des petits prix en échange d’arrangements et de renseignements utiles.

 

Qu’est-ce qu’il t’a pris de larguer cette caisse en pleine campagne ?

 

          Paul est du genre calme. 30 années dans la gendarmerie l’ont rendu placide. Il était là, assis en face de mon bureau, à ma demande il me faut bien l’avouer. Cette histoire commençait à m’emmerder sérieusement. Une belle femme d’environ la cinquantaine, sapée sur mesure, était venue un jour me demander de lui ramasser sa voiture qui ne démarrait plus, m’avait laissé l’adresse où la prendre, les clefs et la carte grise (l’assurance verte en était tombée), son numéro de téléphone, elle était évidemment pressée, et elle en avait besoin rapidement. Riche ou pauvre, j’essaie de servir tout le monde également. Le problème avec les riches, c’est qu’ils sont susceptibles, c’est tout. Pas plus. Mais c’est énorme croyez-moi. Et je ramenais rapidement cette voiture sur mon plateau. Là où j’aurais dû tiquer, c’est au vu de la caisse. Son apparence ne correspondait pas du tout avec le niveau social de la daronne. Et de son soi-disant mari, puisque la voiture était à ce nom. Je risquais tout de même un coup de bigo, prétextant n’importe quoi, et évidemment, le numéro de téléphone n’était pas attribué. Et c’est là que mon Paul intervient. Fichiers, rapports d’enquêtes, communications téléphoniques, etc.

 

—   … Le proprio de la bagnole est actuellement en psychiatrie à Tournefeuilles pour une dépression compliquée. Sa famille a porté plainte pour harcèlement et vol aggravé…

 

—   Mais je l’ai pas volé moi, sa voiture ! Paul ! Enfin tu m’connais, depuis le temps !...

 

—   Te bile pas mon pote, toi, tu n’es qu’un petit pion qui s’est malheureusement fait manipuler. Ce pauvre mec, en plus de s’être fait escamoté sa voiture, il s’est totalement fait dépouiller de tout son pognon par la fille de la femme qui est venue te voir… Madame I de G.

 

—   ... De G. !        Le G. ?...             Le G. de…     L’autre là ?

 

—   Oui m’sieur ! Parfaitement. Monsieur de G. lui-même…

 

—   Merde alors !

 

—   Attends ! t’as pas tout vu. Mais avant, il faut que tu me rassures sur un truc…

 

—   Oui… Quoi ?

 

—   … Je veux être sûr que ce que je vais te raconter va rester entre nous.

 

—   Bien sûr Paul !

 

—   … Va rester entre nous, même si t’es convoqué chez le juge…

 

—   Le juge ? Mais pourquoi j’irais chez le juge ? J’ai rien fait ! Tu l’as dit toi-même que je me suis fait manipuler.

 

—   Y’aura pas de problèmes. Mais ce que je vais te dire maintenant, c’est du confidentiel. Tu comprends ?...

 

          On se leurre sur les gens. Ce que l’on n’en voit n’est qu’un masque de bonne socialisation. Les riches ont une notoriété à défendre. Un patrimoine à protéger en premier, et en second à faire fructifier. Tout risque de stagnation ou de blocage est immédiatement aplati par le rouleau-compresseur de l’ambition et de la cupidité. Telle est la loi.

 

          Avant de devenir Madame I de G., Inès (appelons-là ainsi puisque c’est son premier prénom) était une courtisane connue qui avait su capitaliser sur sa jeunesse et sa beauté. Sa fille suivait le même exemple, avec moins d’intelligence et beaucoup moins de réussite. Elle avait épuisé plusieurs comptes bancaires d’imbéciles heureux venues de bonnes familles provinciales, et avait pompé dans tous les sens du terme un anglais de passage qui en était tombé gravement amoureux. En l’espace d’une année, après s’être mis en ménage ensemble, la nymphette l’avait sucé de tous les fifrelins que la riche famille anglaise avait octroyé à leur fils, l’unique (l’excellent ! comme il se doit), et le pauvre gars avait été mis immédiatement à la porte dès que le pognon vint à manquer. Elle prétexta de son prétendument  amour inconditionnel pour lui, de son désir sincère de renflouer leur caisse pour aller se jeter dans les bras de deux riches jumeaux qui se la partageait ensemble jusque dans les balcons réservés à leurs noms dans les meilleurs théâtres de la capitale. Madame sa mère Inès avait fait débarrasser la conduite anglaise restée trop longtemps à proximité de son parc arboré.

 

          Ayant commencé à comprendre la situation dans laquelle je m’étais mis à mon insu, j’avais rapidement évacué le tacot de mon garage  sur ce que l’on peut appeler un coup de panique. Je l’avais abandonnée sur un chemin agricole où pratiquement personne ne passait. Un chemin comme on n’en voit peu. Un chemin asphalté au départ d’un carrefour giratoire, qui longe une départementale désertique pour finir par se perdre dans la terre et le cailloutis des champs fréquemment envahis par la brume.

 

 

 

 

Tu n’aurais pas dû laisser cette voiture à l’abandon…

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